Il y a 27 ans, le 18 juin 1993, au Trianon, renaissait « l’appel du 18 joint » pour la légalisation du cannabis et l’abrogation de la loi de 1970 – lancé en 1976 par Libé, avec Gilles Deleuze, François Châtelet, Bernard Kouchner, Edgar Morin et quelques autres…
Ce 18 juin-là, en 1993, c’était sous la forme d’une conférence, dite Journée internationale du cannabis, avec des militants et des experts venus de partout, de Californie et de New York, comme d’Italie, de Suisse, de Belgique, d’Espagne, des Pays-Bas, d’Allemagne et d’Angleterre. Il y avait là Thomas Szasz, Jack Herer, John Marks et tant d’autres.
Ce croisement d’expériences et de connaissances boostera le mouvement cannabique dans beaucoup de pays, et pour longtemps. En Espagne surtout, mais aussi en Allemagne, en Suisse, et même aux Pays-Bas et en Californie, les militants reviendront gonflés à bloc, heureux d’avoir découvert qu’ils n’étaient pas seuls. Ainsi, en France, le mouvement cannabique prendra son envol ce jour-là, et, à Paris, depuis 27 ans, tous les ans, « le 18 juin à 18 heures à la Villette », les fumeurs et ceux qui veulent changer la loi se retrouvent, pour débattre sur l’herbe. Le temps passe et le rendez-vous de la Villette est devenu une sorte de tradition locale. Bon an mal an, quelques milliers de personnes viennent voir, pour prendre la température. C’est le lieu où l’on peut entendre les personnalités et les partis qui dénoncent inlassablement le scandale d’une politique absurdement maintenue si longtemps en dépit de si piètres résultats.
Cette année encore, nous appelons celles et ceux qui veulent légaliser la weed à venir se rassembler et en discuter. Sur les pelouses de la Villette nous respecterons naturellement les règles sanitaires de distanciation. Mais surtout nous parlerons de l’urgence à réformer la terrible loi votée le 31 décembre 1970 par une poignée de députés. Le bilan de la loi de 70 reste à faire. Combien de vies brisées en cinquante ans ? Combien d’années de prison allègrement distribuées ? Combien d’interpellations, combien de contrôles ? On imagine comment ces chiffres donneraient le vertige si on les avait. Cinquante ans de malheurs. Combien d’amendes infligées aux plus pauvres ? Combien d’injustices ? Combien de « bavures », comme aurait dit Maurice Rajsfus, dénonçant la police raciste qui avait embarqué ses parents à Drancy, noyé des algériens à la Seine en 1961, et perpétuellement persécuté « noirs » et « arabes », et plus largement jeunes et pauvres, instituant un climat délétère en banlieue, avec son cortège de morts et d’émeutes…
Rarement une loi aura autant fait de mal. Un demi-siècle après, son bilan est simplement affligeant. Socialement, elle est la matrice des ghettos, ces « territoires » que la République voudrait « reconquérir ». Judiciairement, elle encombre les tribunaux et leur fait multiplier des sentences incroyablement lourdes pour un délit inexistant, dont la seule victime, s’il y en avait, serait soi-même… « Les drogues ne sont pas interdites parce qu’elles sont dangereuses. Elles sont dangereuses parce qu’elles sont interdites », disait le procureur de Valence, Georges Apap, lui aussi présent ce 18 juin 1993 au Trianon.
Quant à la mobilisation de la police, de la gendarmerie et des douanes, matérialisant cette interdiction dangereuse, elle a aussi un coût : près de 600 millions annuels, pouvaient calculer des chercheurs en 2014i. Au résultat, « tout le monde déteste la police », et les prisons sont pleines pour rien… Pendant ce temps, le monde entier légalise peu à peu, et découvre les promesses d’une économie verte, écologique et prospère, que le chanvre sous toutes ses formes permettrait si les archaïsmes religieux et la pesanteur policière n’entravaient pas tant sur notre vie sociale.
Il est grand temps que le législateur change de logiciel. Pour enterrer dignement ce demi-siècle d’obscurité, retrouvons-nous encore une fois à La Villette, pour dénoncer encore la politique des amendes qui pleuvent sur les jeunes, avec ses tests salivaires et chiens renifleurs qui terrorisent automobilistes et voyageurs… Une politique qui plus est entreprise par une police gangrénée, où des flics dits ripoux sont libres de trafiquer eux-mêmes au nom de l’infiltration des réseaux, libres d’investir et de contrôler l’ensemble de la chaîne de ce marché noir, ainsi que la loi les y autorise, encore mieux que dans la tradition de la French connection instaurée jadis sous de Gaulle.
Cinquante ans ça suffit ! Ce jeudi à 18 heures, nous allumerons 18 joints, et appelons 18 flics à se joindre à nous, pour mettre genou à terre et signifier que la loi du 31 décembre 70 doit bien être abrogée sans délai.
Signataires :
Michka Editrice et écrivaine
Safia Lebdi Fondatrice de Legalize
Farid Ghehioueche Cannabis sans Frontière
Bertrand Leibovici Docteur Addictologie
Michel Sitbon Éditeur